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Goûter et répéter pour déjouer la néophobie alimentaire

« J'aime pas ça. »


On a tous prononcé cette phrase, souvent sur un ton catégorique, parfois même avec une pointe de fierté identitaire. Pourtant, derrière ce rejet instinctif se cache souvent un phénomène qu'on sous-estime : la néophobie alimentaire.


La néophobie alimentaire, c'est cette réticence face aux aliments nouveaux ou inusuels. Très présente chez les enfants, elle persiste aussi à l'âge adulte, souvent sous des formes plus subtiles : « je n'aime pas l'amertume », « je ne suis pas fan des herbes trop fortes », ou encore « l'anis étoilé, c'est non ».


Une différence entre enfants et adultes

Chez les enfants, la néophobie est une phase normale du développement. Le refus d'un aliment nouveau peut être surmonté avec de la patience : plusieurs études montrent qu'il faut entre 8 et 15 expositions pour qu'un enfant commence à apprécier un aliment. Le processus est presque mécanique : plus ils y sont exposés, plus la probabilité d'acceptation augmente.


Chez les adultes, l'effet peut être plus rapide, mais il est moins automatique. Nos préférences sont influencées par des facteurs culturels, émotionnels et contextuels. Un aliment peut être rejeté non pas pour son goût seul, mais pour ce qu'il évoque : une mauvaise première expérience (c'est souvent le cas pour la coriandre) , une image mentale, un décalage culturel.


Le palais, une construction en mouvement

Contrairement à ce qu'on pourrait croire, le goût n'est pas figé. Il se développe, se nuance, se transforme. Plusieurs études montrent qu'il faut parfois entre 5 et 10 expositions à une même saveur pour commencer à l'apprécier. Et ce processus n'est pas uniquement sensoriel : il est aussi culturel et affectif, bref, contextuel.


Je l'ai vécu avec l'aneth. Longtemps, cette herbe à la saveur marquée, presque médicinale, m'a rebutée. Jusqu'à ce voyage en Roumanie, où elle semblait être partout. Une salade de chou préparée par la grand-maman de mon amie, dans le village de Traian, a tout changé : fraîche, acidulée, rehaussée d'oignon vert écrasé... et d'aneth.


C'était équilibré, vibrant et lumineux. Ce plat m'a offert un point d’entrée sensoriel.

L'aneth est resté dans ma cuisine depuis. Je ne l'aime pas partout, mais je sais maintenant comment la travailler.


L'aneth est une herbe qui rafraîchit le palais dans certaines cultures, au même titre que la coriandre en Amérique latine, au Moyen-Orient et en Asie.
L'aneth est une herbe qui rafraîchit le palais dans certaines cultures, au même titre que la coriandre en Amérique latine, au Moyen-Orient et en Asie.

Notre corps a la mémoire longue

Le contexte joue un rôle crucial dans la manière dont on perçoit une saveur. Parfois, ce n'est pas le goût en soi qui nous rebute, mais l'expérience qu'on y associe.


Prenons la tequila. Combien de gens disent la détester, non pas pour sa saveur, mais parce qu'ils y lient un mauvais souvenir ? Une cuite, un mal de cœur, un début de nuit qui a mal fini. (Je lève la main ici aussi.) La tequila bas de gamme du type "bang bang" a traumatisé bien des papilles. Par la suite, on rejette l'ensemble de la catégorie, sans remise en question.


Et comme on croit qu'à l'âge adulte, nos préférences sont censées être définitives, on n'y revient plus jamais.



L'amertume : du rejet à la création

Autre exemple : le café. J'ai longtemps eu un palais réfractaire à l'amertume. Pas de café, pas de bières foncées. Puis j'ai dû travailler sur un mandat pour un café-restaurant, auquel j'ai vendu l'idée d'un menu tout café. Il m'a fallu non seulement dépasser mon rejet, mais créer des plats autour de ce profil aromatique.


C'est là que j'ai compris que certains aliments pouvaient servir de ponts : le chocolat, les agrumes comme l'orange, les épices tex-mex, les fruits à noyau. Ajoutez un peu de gras, un soupçon de sucre ou une touche d'acidité, et l'amertume revêt un tout autre visage.


Goûter, répéter, élargir

Même en étant consciente de tout ça, chacun de mes voyages en Asie – et Taïwan ne fait pas exception – m'a exposée à mes propres blocages néophobiques.


Plutôt que d'éviter les aliments qui me répugnent un peu naturellement, je me fais un devoir de les essayer (et de les réessayer) avec ouverture d'esprit.

Ici, cela signifie apprivoiser des textures que les Taïwanais adorent : tout ce qui est très gluant ou gélatineux (ils leur ont même trouvé un petit nom affectueux, "Q"), le cartilagineux de certains abats, le caoutchouteux de champignons particuliers. Sans oublier l'amertume ultra-prononcée de légumes comme les melons et concombres de mer, ou encore ces odeurs qui me font encore reculer – le tofu puant, le durian.


Concombre de mer fraîchement pêché : apparence douteuse, texture gélatineuse et amertume prononcée... un parfait déclencheur de néophobie alimentaire!
Concombre de mer fraîchement pêché : apparence douteuse, texture gélatineuse et amertume prononcée... un parfait déclencheur de néophobie alimentaire!

La néophobie n'est pas un défaut : c'est un point de départ. Là où certains ferment la porte, d'autres choisissent de l’entrouvrir.


Parfois, au dixième essai, il se passe quelque chose. Pas nécessairement un coup de foudre, mais une accalmie, une curiosité, un début de réconciliation.


Et si c'était ça, développer son palais ? Agrandir le spectre des saveurs qu'on comprend, se donner accès à une plus grande palette de plaisirs et surtout, élargir notre capacité à goûter le monde.

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