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Quelles sont les différences entre la cuisine chinoise et la cuisine taiwanaise?

Vous êtes nombreux à m'avoir posé cette question !


Après 35 jours à Taiwan en mai-juin 2025, je vous confirme que parler de « cuisine chinoise » pour décrire ce qu'on mange sur l'île est un raccourci trompeur. Voici ce que j'ai appris sur cette identité culinaire unique.


L'évidence qui n'en est pas une

Taiwan, cette île de 23 millions d'habitants située à 180 km des côtes chinoises, a une histoire intimement liée à la Chine continentale. Peuplée majoritairement par des immigrants chinois arrivés par vagues successives depuis le 17e siècle, puis par un afflux massif de réfugiés nationalistes en 1949, l'île a naturellement hérité des traditions culinaires chinoises.


On pourrait donc croire que la cuisine taiwanaise n'est qu'une continuation de la cuisine chinoise. Pourtant, dès les premiers repas, quelque chose détonne. Ce n'est pas seulement une question d'ingrédients disponibles ou de préférences locales : c'est une approche culinaire fondamentalement différente, façonnée par le terroir, l'isolement insulaire, l'occupation japonaise, et des influences multiples qui ont créé une identité gastronomique autonome.


Un palais formé par l'histoire

L'empreinte japonaise, 50 ans après


L'occupation japonaise (1895-1945) a laissé des traces indélibiles. Cette influence se ressent dans la recherche constante de l'umami, les techniques de présentation minutieuses, et même dans l'omniprésence des convenience stores qui ont redéfini la culture du snacking urbain.


Les biandangs, bento taïwanais


Autre trace vivante de l’occupation japonaise : les biandangs, ces plateaux-repas complets emballés dans une boîte, servis chauds dans les gares, cantines et petits restos de quartier. Bien plus qu’un souvenir du Japon, ils sont devenus un pilier de la restauration quotidienne, aussi pratiques quéquilibrés. Leur format rappelle les bento, mais leur contenu est résolument taïwanais : porc braisé, œuf mariné, légumes de saison, riz. Une forme de standardisation du repas… sans la fadeur industrielle.


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La préservation paradoxale


Ironiquement, Taiwan a préservé certaines traditions culinaires chinoises pré-1949 qui ont évolué différemment sur le continent, créant un conservatoire culinaire inattendu.


Influences hakka et autochtones


Certains plats traditionnels hakka (ex : porc mijoté au tofu fermenté, légumes saumurés, riz aux feuilles de moutarde) sont particulièrement visibles dans le paysage culinaire taïwanais. On y perçoit aussi, dans certaines régions, l’héritage des peuples autochtones: millet, fermentation, viandes fumées, feuilles de bananier… Autant de touches qui n'existent pas ou peu dans la cuisine chinoise dominante.


Les marqueurs d'une identité distincte

Le goût sucré comme signature


Les Taiwanais ont développé un palais nettement plus sucré, favorisé par l'abondance locale de canne à sucre et la culture du melon d'hiver (dont on extrait du sucre). Leurs bubble teas peuvent sembler vraiment trop intense aux étrangers, et même leurs plats salés revêtent souvent une note sucrée subtile qui surprend.


Taiwan possède aussi une sauce soya épaissie appelée jiangyougao, qui a un profil plus sucré que la sauce soya chinoise et qui est largement utilisée comme condiment au quotidien.


L'obsession de la texture "Q"


Cette texture rebondissante, difficile à traduire, révèle une divergence culturelle frappante avec la Chine continentale. Là où les restaurants taiwanais affichent fièrement "QQ" sur leurs pancartes comme argument de vente, la Chine privilégie d'autres qualités texturales. L'influence japonaise transparaît ici : Taiwan a adopté cette valorisation nippone des textures variées (pensez à l'oden avec ses konnyaku et fish cakes) tandis que la Chine continentale développait plutôt le malatang aux priorités différentes. Résultat : la texture "Q" est recherchée partout à Taiwan, des tapiocas du petit-déjeuner aux fish balls du soir, devenant un critère de qualité en soi.


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Herbes aromatiques : une géographie du goût


Le changement peut sembler mineur, mais il révèle une transformation profonde. Oubliez la coriandre omniprésente en Chine continentale. Le sanbeiji, plat national taiwanais, utilise du basilic thaï, un basculement qui témoigne des influences sud-est asiatiques et de la proximité géographique avec ces saveurs.


Cette substitution, répétée dans de nombreux plats, redessine littéralement la carte aromatique de la cuisine, créant des profils de saveurs parfois plus proches de l'Asie du Sud-Est que du continent chinois.


Déjeuner en majesté


La Chine continentale a ses jianbing, ses doujiang et ses beignets frits. Mais à Taiwan, le petit-déjeuner est une affaire sérieuse : chaînes spécialisées, sandwichs grillés façon HK, omelettes au radis, crêpes farcies, lait de soya salé. Là, on parle d’une diversité et une créativité ritualisées dès 6h du matin, dans un cadre urbain structuré.


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Les marchés de nuit comme institution vivante


Bien plus qu’un lieu de restauration, le marché de nuit taïwanais est un rituel. À la différence des rues de brochettes ou de nouilles chinoises, les ye shi sont des écosystèmes complets où l’innovation culinaire se déploie à bas prix : tofu puant frit à la minute, desserts glacés personnalisables, snacks salés-sucrés improbables. C’est une culture du soir, du flânage et du goût immédiat.


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Ces absences révélatrices

L'effacement du Sichuan et du Yunnan


Les cuisines régionales chinoises les plus épicées sont remarquablement sous-représentées à Taiwan. Cette absence explique une cuisine globalement plus douce, où le poivre noir remplace souvent le piment.


La restauration bouddhiste comme scène vivante


Si la Chine compte aussi des restaurants bouddhistes, souvent nichés dans des temples, Taiwan se distingue par leur accessibilité et leur abondance. Buffets végétariens, plats sans œufs ni produits laitiers, desserts aux textures variées : la piété quotidienne alimente ici un marché culinaire vivant, bien visible et grand public.


Ces ingrédients venus d'ailleurs

Les pâtes italiennes naturalisées


Détail surprenant : les spaghettis font partie du quotidien taiwanais d'une façon impensable en Chine continentale. Une occidentalisation assumée qui s'ajoute au répertoire local sans complexe.


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L'adoption du poivre noir


Taiwan a adopté massivement le poivre noir occidental là où la Chine continentale reste fidèle aux piments et épices locales. Cette préférence pour le poivre plutôt que le piment transforme radicalement les profils de saveurs, créant une cuisine plus douce mais aux arômes différents.


Plein feu sur les trésors de l'île

Fruits et légumes locaux vénérés


Les litchis, poires d'eau, et mangues Erwin ne sont pas que des fruits — ils deviennent desserts sophistiqués, glaces artisanales, yaourts premium. Une valorisation qui frôle la fierté nationale.


Le taro mérite une mention spéciale : cette racine violette fait l'objet de préparations particulièrement raffinées à Taiwan, des bubble teas aux pâtisseries en passant par les glaces, avec une sophistication technique qui dépasse largement ce qu'on trouve ailleurs en Asie.


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Les parfums de la mer


Taïwan est une petite île qui baigne dans l'eau de mer et cela se traduit à l'assiette. Geli (clams), huîtres et algues s'invitent en abondance et en fraîcheur même dans la street food la plus simple.


L'huile de fruit de thé, or local


En plus d’une forte culture du thé, qui se manifeste par des plats cuisinés à base de thé, Taïwan compte aussi des produits de spécialité, comme le kuchayou (huile de graine de thé) incarne cette fierté des produits locaux qui forge l'identité taiwanaise.


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Le lu wei, art du braisage taïwanais


Taiwan n’a pas inventé le braisage — la Chine continentale a son hong shao, technique classique où les viandes mijotent dans une sauce soja caramélisée, épaisse et parfumée.

Mais le lu wei, c’est autre chose.


C’est une pratique de rue vivante, urbaine, souvent improvisée : des vitrines d’ingrédients variés (tofu, abats, légumes, œufs, nouilles) qu’on choisit soi-même, pour les voir plonger dans un bouillon au thé noir et aux épices, avant d’être servis sur place ou à emporter. Plus végétal, plus fluide, plus participatif : c’est un art du braisage qui contribue pleinement à l’identité taïwanaise.


Des techniques distinctives

Bouillons clairs versus sauces épaisses


Contrairement aux sauces denses privilégiées en Chine continentale, Taiwan favorise les bouillons légers et les soupes claires qui laissent s'exprimer les saveurs naturelles des ingrédients.


La sophistication du quotidien


Les pâtisseries taiwanaises méritent une mention spéciale : techniquement irréprochables, elles adoptent des profils de saveurs plus accessibles aux palais occidentaux sans perdre leur âme asiatique.


La cuisine de rue atteint ici une qualité digne de mention, des gua bao aux oyster omelettes, favorisée par la densité urbaine et une culture du goût exigeante.


Plus qu'une cuisine, une identité

Cette exploration révèle comment géographie, histoire et contacts culturels peuvent transformer une tradition culinaire. Les faits parlent d'eux-même! Il y a de nombreuses différences entre la cuisine chinoise et la cuisine taiwanaise !


Les frontières de l'authenticité sont plus floues qu'on ne l'imagine, mais Taïwan prouve hors de tout doute qu'une cuisine peut honorer ses racines tout en embrassant sa singularité.

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