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Photo du rédacteurHéloïse Leclerc

Maîtriser la macération, ce monde de merveilles!

Dernière mise à jour : 9 oct. 2019

La macération est un procédé qui consiste à faire tremper des solides (comestibles) dans un liquide froid pour que ce dernier emprunte ses propriétés (couleurs, saveurs ou arômes), ou vice versa. Qui aurait pensé que derrière un principe aussi simple se trouve l'une des astuces les plus intéressantes pour capturer et transmettre les arômes d'une saison à l'autre?


Aussi connue sous le nom d'infusion à froid, la macération était pratiquée par nos aïeul(e)s surtout pour aromatiser des spiritueux neutres ou pour des applications en médecine douce, quoique la décoction (infusion à chaud suivie d'une macération prolongée) lui soit souvent préférée encore aujourd'hui.



J'ai pour ma part connecté avec le pouvoir de la macération lorsque j'ai créé le menu de relance de Ma Station Café en 2015. À l'époque, j'avais été mandatée pour concevoir des plats autour du café, de l'entrée au dessert, alors je m'étais creusé la tête pour trouver diverses manières de le cuisiner. Souhaitant retrouver ses arômes sans amertume, j'avais alors pensé à infuser à froid de la crème 35% avec des grains de café entiers pendant 48 à 72 heures pour réaliser une crème fouettée. Le résultat, décadent et délicat, m'avait éblouie et ouvert les yeux sur un monde de possibles.


Quelques notions de base


La macération est une technique simple, mais il y a quand même quelques petits trucs à savoir avant de se lancer.


Tout d'abord, il faut définir un projet, une combinaison solide + liquide qui a du sens et pour laquelle on entrevoit déjà la finalité, car cela dictera un peu les choix.

Exemples de solides: fines herbes entières, épices, grains de café, thés, fleurs comestibles, agrumes, céréales entières...


Exemples de liquides: huile neutre ou d'olive, vinaigre, crème 35%, lait de vache ou végétal, sucre liquide (ex: miel ou sirop d'érable), alcool (ex: vin ou spiritueux)...


Exemples de finalités: huile pour monter des mayonnaises ou vinaigrettes maison, crème pour des applications sucrées (ex: crème fouettée, crème glacée, flanc), miel de finition pour des applications salées (ex: des plateaux de charcuterie, fromage au four, légumes racine rôtis au four)...


Il faut ensuite planifier le processus de fabrication en fonction des ingrédients sélectionnés.

Plus les solides sont gros, plus long sera le temps nécessaire pour procéder à la macération. Si certains liquides peu propices au développement des bactéries comme l'alcool, le miel et le vinaigre conviennent pour des macérations prolongées, ce n'est pas le cas des corps gras comme la crème ou l'huile.


Contrairement à l'idée reçue que les bactéries ne peuvent pas se développer dans une huile aromatisée, sachez que plusieurs d'entre elles sont anaérobiques, ce qui signifie qu'elles n'ont pas besoin d'oxygène. Les huiles macérées maison gagnent donc à être conservées au réfrigérateur. Les sources ne s'entendent pas sur la durée de conversation de ces préparations pour garantir l'absence totale de risque, même si vous retirez les parties solides, surtout en présence d'ail. Pour éviter tout ennui, une congélation est recommandée au-delà de 2 semaines (dans les scénarios les plus alarmistes, on parle de 7 jours!) Pour en apprendre plus sur le sujet, je vous recommande cet article de Ricardo.



Les 5 règles de la macération

  1. Travailler avec des ustensiles, des ingrédients et des contenants propres et secs. Ces derniers seront idéalement stérilisés et pourront être fermés de manière hermétique.

  2. Déterminer une durée de macération en fonction des ingrédients en cause et programmer un rappel au besoin

  3. Tamiser les liquides avec des tamis à mèches fines, des étamines ou des filtres à café: plus la préparation est visqueuse, plus la mèche devra être large.

  4. Conserver les macérations à l'abri de la chaleur, de la lumière et de l'air

  5. Dater et identifier les contenants de vos macérations pour ne pas perdre le fil

Les macérations en corps gras


Celles-ci sont - et de loin - mes préférées. La raison est simple: le gras emprisonne remarquablement bien les molécules aromatiques, en conservant toutes ses nuances. D'un goût neutre par ailleurs, il se prête par la suite à toutes sortes de procédés de transformation. Toutes les infusions ci-dessous nécessitent de 24 à 48 heures de macération.


Quelques exemples

  • Les huiles vertes: ma préférée entre toutes, l'huile à la ciboulette, est réalisée en utilisant une astuce d'accélération! On commence par hacher finement de la ciboulette fraîche puis la passer au mélangeur avec une qualité équivalente d'huile. Cela augmente les surfaces de contact et permet d'obtenir une belle macération de couleur verte en moins de 48 heures. Il suffit de passer le tout dans un tamis à mèche fines doublé d'étamine.

  • La crème aux fleurs: c'est avec le lilas que j'ai vécu ici une véritable épiphanie a l'été 2019! L'infusion à froid permet de saisir toute la délicatesse du lilas sans hériter au passage de son amertume. La crème se congèle bien et peut être décongelée par la suite, puis fouettée pour garnir une variété de desserts au chocolat ou aux fruits. En automne, le mariage pommes et lilas est particulièrement intéressant et inattendu, puisque ces deux saisons ne se rencontrent pas en temps normal. La lavande est un autre classique, tout comme la camomille, mais il y a vraiment moyen de s'éclater ici!

  • La crème aux épices: gros coup de cœur récemment pour la crème à la cannelle avec une pointe de poivre du Sichuan rôti. En travaillant avec diverses provenances de Cannelle ou de Casse en bâtons, il y a moyen de renouveler le plaisir à l'infini. La crème peut ensuite être utilisée en application sucrée, ou salée. Si vous n'avez encore jamais essayé la crème fouettée salée, vous manquez quelque chose!

  • La crème aux fines herbes: encore plus sublime que l'huile infusée à mon avis, quoique plus pertinente pour les applications court terme. Ma préférée est la crème infusée au basilic, dont les arômes volatiles sont extraordinairement délicats! Sachez qu'une crème fouettée au basilic peut devenir la star d'un dessert aux fraises ou aux bleuets, ou, en version salée, rehausser une entrée de jambon crû et de cantaloup.

  • La crème aux céréales! Bien que Christina Tosi ait amené la notion très loin avec en créant une crème glacée macérée aux céréales "déjeuner", une macération de céréales brutes peut aussi s'avérer des plus intéressantes. L'avoine et le riz brun possèdent des arômes distinctifs, à la fois sucrés, chaleureux et délicats, qui peuvent être transposés avec cette méthode.

  • La crème aux thés et tisanes: tous les thés ou presque se prêtent à la macération! Un must pour réinventer le service des scones! Il peut être intéressant de jouer entre la saveur du scone et celle de la macération. Par exemple, un scone aux agrumes sera splendide avec une crème infusée au thé Earl Grey, qui lui prêtera ses arômes de bergamote.




Les macération en sucre liquide


Les macérations dans le sucre tendent à prendre plus de temps que les macérations dans les liquides gras en raison de leur densité. Selon les herbes utilisées, il faut compter jusqu'à une semaine et prévoir de les retirer. De manière générale, je préfère réaliser des infusions à chaud avec les sucres liquides pour gagner du temps, mais lorsque je désire éviter les pertes aromatiques, la macération demeure une bonne piste!


Quelques exemples

  • Le sirop d'érable: au thym, au romarin, au poivre (noir ou des dunes), le sirop ainsi macéré amènera une touche de sophistication aux crêpes sucrées-salées et aux plateaux de charcuterie. Sur Facebook, Ginette Larochelle partageait comme elle réalise une macération érable-gingembre-citron pour faire son propre ginger ale maison à l'aide de son soda stream!

  • Le miel : ici encore, thym, romarin, poivres, mais aussi, branches de sapin, gingembre et épices d'hiver (ex: anis étoilé) peuvent donner de bons résultats. Choisir un style de miel compatible avec le projet, idéalement, un miel plus pâle et moins typé qu'un miel de sarrasin, par exemple.


Sur la gauche, on aperçoit le "caramiel" de Véro Poulin. Ce miel au gingembre - en plus d'être délicieux - aurait de belles propriétés antiseptiques. Comme elle le fait chauffer brièvement - ce qui en fait une infusion plus qu'une macération - le miel épaissit et prend la consistance du caramel. À droit, on aperçoit un sirop de sureau, qu'elle consomme aussi pour renforcer son système immunitaire.

  • Le sirop simple: le parfait complément des cocktails festifs et éclatés, le sirop simple peut être infusé à chaud, mais aussi, macéré à froid. Fines herbes, écorces d'agrumes, épices de toutes sortes, les possibilités sont infinies! La pâtissière Anna-Bella Lalonde Liboiron recommande pour sa part cette technique sur la fleur de sureau.

Les macérations dans le vinaigre


Si les vinaigres macérés sont particulièrement populaires dans le domaine des produits ménagers zéro déchet fabriqués à la main et les traitements santé alternatifs, ils ont aussi leur place en application culinaire. La macération à froid permet d'obtenir une gamme de vinaigres aromatisés maison pour une fraction du prix en épicerie (ex: le vinaigre à l'estragon, le vinaigre de noix, le vinaigre de framboises), avec plusieurs saveurs en prime. Le temps de macération à froid sera supérieur à une infusion à chaud (souvent 2 semaines et plus, selon les ingrédients en cause) mais permettra, ici encore, de conserver plus de nuances aromatiques et d'éviter les transferts d'amertume.

Quelques exemples


  • Le vinaigre aux herbes moins communes: personnellement, j'adore le vinaigre macéré à la sarriette. Son petit côté poivré-épicé et très végétal rehausse les salades à merveille, en particulier, celles de pommes de terre, de pâtes et de chou.

  • Le vinaigre aux fleurs: l'acidité permet de fixer et magnifier les pigments alimentaires rouges. La meilleure façon d'en profiter ici? Réaliser un vinaigre aux pétales de roses (frais ou secs!) ou encore, à l'hibiscus. L'important est de travailler avec des fleurs sans pesticides, donc de votre jardin, car les roses de fleuristes n'en sont généralement pas exempts.

  • Le vinaigre aux algues ou à la salicorne: que vous optiez pour une algue asiatique comme le nori ou une algue locale comme le dulse (bacon de mer), ce type de vinaigre au profil iodé pour permettra de réaliser une mignonette nouveau genre pour votre prochain party d'huîtres ou des beurre blancs particulièrement décadents pour rehausser vos pétoncles et vos poissons blancs.

Les macérations dans l'alcool


Une des formes de macérations les plus populaires au Québec, il s'agit d'un des types que j'ai le moins travaillé dans ma cuisine, mais je dois dire que les fans de la Touche Héloïse n'étaient pas à court d'idées...


Quelques exemples


  • Les spiritueux aux bonbons: Nathalie Bastien me racontait que son amie française dissout des carambars dans son rhum et Véro Poulin prépare des batchs de vodka aux Skittles pour Noël (la version rouge et la version verte me semblent tout à fait appropriées pour les circonstances!): voilà un immense terrain de jeu pour les grands enfants!


  • Les spiritueux aux fruits: mon ami Carl a pour sa part exploré les macérations de fruits en commençant par le Limoncello et la pomme grenade dans un alcool 94% coupé par la suite avec du sirop simple. Plus récemment, il a parti des macérations de prunes dans une vodka 40%. On l'aperçoit ci-dessous! Les petits fruits se prêtent généralement bien à ce type de macération. On doit prévoir un minimum de 4 à 5 jours de macération, selon la taille des fruits. Cette durée peut être allongée pour obtenir l'effet désiré, mais les longues macérations sont désormais contestées, car elles feraient ressortir plus d'amertume. Cette page externe explique comment procéder si la notion vous intéresse.


  • Les spiritueux aux piments: avec la montée en force des amateurs d'épicé extrême, toute une filière de spiritueux arrangés a vu le jour. Divers types de piments frais entiers (ex: piri piri, Habanero, Basket of Fire) sont ajoutés directement dans la bouteille, parfois avec une inclusion de sirop simple, et macérée pour une période de 1 semaine à 3 mois. Si les piments sont coupés en 2, la macération peut être réduire à quelques heures seulement. Dans un cas comme dans l'autre, il est important de goûter à intervalle régulier afin de retirer les piments au moment où l'intensité désirée est atteinte, tout en prenant en compte que le spiritueux sera probablement allongé pour faire des cocktails.

Les macérations dans l'eau, le lait et les jus de fruits


La dernière catégorie de macération et non la moindre, la macération dans l'eau permet d'aller chercher les propriétés aromatiques avec une interférence minimale. On la préfère à l'infusion lorsque la chaleur risquerait de faire ressortir l'amertume, comme pour le café (dont la forme "cold brew" a été popularisée à Québec il y a quelques années par Maelstrom - parfaite pour les cocktails - et le thé ou les tisanes, par exemple.


Pour ma part, j'ai eu un gros trip de limonade macérée cet été: queue de fraises, basilic, menthe, jalapeno, gingembre, mélisse officinale, parfois plusieurs de ces ingrédients en même temps, mais pas tous, quand même! Je trouve que cela permet d'élever ce classique enfantin et éventuellement, de favoriser des accords avec un dessert et même un plat dans le cadre d'un accord sans alcool.


Comme vous l'avez bien compris, la macération est un vaste terrain de jeu qui invite à beaucoup de créativité en cuisine. Elle permet aussi de prendre le meilleur d'une saison donnée et de la faire perdurer. Une macération intelligente permet aussi de créer un dialogue entre deux aliments, de faire un pont entre deux horizons qui ne s'étaient encore jamais rencontrés... Je vous souhaite donc beaucoup de plaisir dans vos expérimentations...


Et un gros merci à ceux et celles qui ont collaboré à ce projet de billet! N'hésitez pas à partager vos propres expériences dans les commentaires!



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